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Huawei bientôt inculpé par les Etats-Unis ?

Huawei est en passe de devenir un symbole de la lutte économique que se mènent Chinois et Américains pour le contrôle des nouvelles technologies de l’information et de la télécommunication.
Le Wall Street Journal a annoncé, mercredi dernier, que le groupe chinois, premier fabricant d’équipements de télécommunications, est sous le coup d’une enquête pénale ouverte par des procureurs fédéraux américains. Ces derniers soupçonnent Huawei de plusieurs vols de technologies et de secrets d’affaires d’entreprises américaines travaillant avec le groupe. Le même jour, des parlementaires ont présenté un texte prônant l’interdiction de vendre des composants électroniques américains à tous les groupes de télécommunications chinois qui ne respecteraient pas les lois américaines ou les sanctions internationales prises par les Etats-Unis.

Les télécoms : un secteur hautement stratégique qui cristallise des enjeux de puissance

Les réseaux de télécommunications sont des ressources modernes qui se trouvent au centre de nombreuses stratégies de puissance des États pour le contrôle d’accès aux données. Depuis maintenant plusieurs années, Huawei est la cible des Etats-Unis, qui voient dans le géant chinois un danger pour sa sécurité nationale, du fait de ses liens supposés avec l’armée et le gouvernement de Chine. A noter que son fondateur, Ren Zhengfei, est un ancien ingénieur télécom de l’armée chinoise, qu’il a quittée en 1982.

Conscients du caractère stratégique des télécommunications, les Etats-Unis se sont très vite méfiés des projets d’achats ou de participation de Huawei à des entreprises américaines. Ainsi, dès 2008, le gouvernement avait mis son véto au rachat par le groupe de l’entreprise 3Com, qui fournit au Pentagone des systèmes anti-intrusion, ou encore des renseignements militaires à l’armée américaine, et qui comportait donc des logiciels critiques pour la défense du pays. En 2011, l’État américain avait de même empêché l’opérateur Sprint d’utiliser des composants chinois fabriqués par Huawei. De la même façon, en 2012, Washington avait écarté Huawei de la construction de câbles sous-marins reliant les Etats-Unis, l’Irlande et le Royaume-Unis (Hibernia Express), invoquant des risques d’espionnage.

Enfin, en 2017, le Congrès s’était opposé à l’alliance de Huawei avec l’américain AT&T. Ces mesures protectionnistes indiquent une nette défiance de la part des Etats-Unis quant à la pénétration de son marché par le groupe chinois. En août 2018, Huawei fait la promotion de sa technologie 5G à travers le monde, devançant ainsi les Etats-Unis, présentant cet évènement comme une victoire de la Chine dans la course technologique dans le secteur des télécommunications. Victoire qu’elle doit, notamment, aux capacités financières pharaoniques de la Banque Chinoise de Développement, fer de lance de l’expansion commerciale de la Chine dans le monde. Jusqu’ici maîtres des canaux de télécommunications mondiaux, les Etats-Unis n’entendent toutefois pas se laisser ravir la première place.

L’arsenal juridique américain au service de la déstabilisation de Huawei

Les Etats-Unis vont, afin de contrer la montée en puissance de leur concurrent, mettre en place une campagne de déstabilisation de Huawei, sur son territoire comme auprès de ses alliés. Leur axe d’attaque est la possible utilisation du nouveau réseau 5G de Huawei à des fins d’espionnage au profit du renseignement chinois.

En mars 2018, pour des raisons de « sécurité nationale », et suite à un avertissement du Congrès, les principaux opérateurs et distributeurs américains (BestBuy, AT&T, Verizon,) ont refusé de commercialiser les produits de Huawei. Le mois suivant, le Department of Justice lance une enquête afin de savoir si Huawei, mais aussi ZTE (un autre grand équipementier chinois en télécommunications) n’ont pas contourné l’embargo décrété contre l’Iran. Accusé de fausses déclarations durant l’enquête, ZTE a l’interdiction d’utiliser des composants américains pour une période de 7 ans. Ce qui, selon les déclarations du groupe, met en jeu sa survie même.

Dans l’objectif d’isoler Huawei, le marché américain prends des mesures juridiques, comme par exemple la mise en place par la Commission fédérale des communications (FCC) d’une réglementation régulant les subventions versées aux opérateurs qui utilisent des équipements dont les caractéristiques se rapprochent de ceux de Huawei ou ZTE.

Entre août et décembre 2018, l’Australie, le Royaume-Unis, la Nouvelle-Zélande et le Canada évoquent à leur tour des risques de sécurité dans l’emploi de technologies appartenant au groupe Huawei. Les failles de la 5G en matière de cybersécurité sont notamment mises en avant afin de ne pas cibler explicitement l’entreprise chinoise et ainsi ne pas déroger aux règles de la libre-concurrence. L’Australie a, cependant, exprimé ses craintes de façon explicite d’espionnage chinois, en citant l’article 7 de la Loi sur le renseignement national chinois, parue en 2017, et qui exprime l’obligation de toutes les entreprises nationales à coopérer avec les renseignements étatiques. Selon le Wall Street Journal, les Etats-Unis mèneraient une campagne similaire auprès de la France, de l’Italie et de l’Allemagne.

Les pressions s’intensifient autour de la numéro 2 du groupe

Meng Wanzhou, la directrice financière du groupe et fille de Ren Zhengfei, est arrêtée le 1er décembre 2018 au Canada, à la demande de la justice américaine. Les Etats-Unis la soupçonnent de « complicité de fraude » dans le contournement des sanctions commerciales contre l’Iran. Libérée depuis sous caution après le versement de 10 millions de dollars, surveillée et dotée d’un bracelet électronique, elle attend son audience d’extradition vers les Etats-Unis, qui aura lieu le 6 février prochain

Au vu de la stratégie américaine observée ces dernières années pour affaiblir ou racheter ses concurrents (le témoignage de Frédéric Pierucci, ancien haut dirigeant d’Alstom, nous le rappelle encore dans Le piège américain, un livre qui décrit la déstabilisation portée à l’encontre d’Alstom, notamment par son propre emprisonnement aux Etats-Unis), on peut avancer que le potentiel emprisonnement de Ren Zhengfei pourra servir d’arme de poids dans les futures négociations qui ne manqueront pas d’advenir entre Pékin et Washington, en cas d’inculpation de Huawei et de condamnation au versement d’une amende.

Ces actions en justice cristallisent la violente guerre économique que les Etats-Unis et la Chine se mènent dans le secteur des technologies de l’information et des télécommunications. Face aux soupçons de pillages technologiques des entreprises chinoises, des subventions étatiques, du contrôle des entreprises étrangères sur le sol chinois (joint-venture) mais, surtout, face au risque de perdre leur leadership mondial dans ce secteur, les Etats-Unis semblent décidés à contrer les avancées de Pékin. Si la 5G est sous les feux de l’actualité, d’autres technologies seront à l’avenir sujettes à tension entre les deux puissances : big data, intelligence artificielle, objets connectés…la bataille des données ne fait que commencer.


admin
Date
26 janvier 2019
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